Le directeur du Lucernaire en grève de la faim pour "sauver" son
théâtre
Christian Le Guillochet demande au ministère de la culture de ne pas
supprimer sa subvention annuelle. La Rue de Valois rétorque que le
théâtre est à vendre et sans projet pour la suite.
Mercredi 5 novembre, Christian Le Guillochet, le directeur du
Lucernaire, a entamé une grève de la faim pour, dit-il,
"sauver"
son théâtre de la rue Notre-Dame-des-Champs (Paris-6
e),
"menacé de mort par le ministère de la culture, qui a décidé de
diviser par deux sa subvention cette année et de la supprimer en 2004".
Pour marquer le coup, il a mis à l'affiche, le 5 novembre,
Subvention, une pièce écrite par son confrère Jean-Luc Jeener,
directeur du Théâtre du Nord-Ouest (Paris-9
e) et
chroniqueur dramatique au
Figaro Magazine.Le moins que l'on
puisse dire de Subvention est qu'il s'agit d'une pièce de
circonstance. On y voit deux fonctionnaires du ministère de la
culture, deux femmes cyniques, vulgaires et brutales, tenter de
convaincre un directeur de théâtre d'arrêter la grève de la faim qu'il
mène depuis vingt-trois jours. La mission tourne court au bout d'une
heure quand le directeur s'effondre sur son bureau, mort.
C'est Christian Le Guillochet qui tient le rôle. Il est fermement
décidé à le jouer (en alternance avec l'auteur), "jusqu'à
épuisement". Peu lui chaut que son action soit, comme dans
Subvention, assimilée à du "chantage". "Oui, c'est du
chantage, répond-il, mais c'est la même réponse que celle des
intermittents : c'est un chantage suicidaire, un appel au secours. Je
fais la grève de la faim, et je la ferai jusqu'au bout s'il le faut,
parce qu'il n'y a pas d'autre solution possible."
La crise tient au statut très particulier du Lucernaire. Christian
Le Guillochet est propriétaire du bâtiment, qui abrite deux salles de
théâtre (de 120 et 130 places), trois cinémas, un bar et un
restaurant. Depuis 1982, ce lieu privé est subventionné par l'Etat,
qui lui a accordé le label de centre national d'art et essai. Il y a
trois ans, Catherine Tasca, alors ministre de la culture et de la
communication, a demandé à Christian Le Guillochet de penser à sa
succession.
"J'ai accepté, sachant que j'approchais des 70 ans, dit le
directeur, mais à condition que quelqu'un rachète les murs, qui
m'appartiennent. De son côté, le ministère s'est engagé à maintenir la
subvention. Et voilà qu'aujourd'hui Jean-Jacques Aillagon décide de
supprimer cette subvention, qui représente 30 % des ressources. Sans
elle, les acheteurs potentiels qui veulent continuer à mener une
action culturelle au Lucernaire refusent de s'engager."
"Je pourrais évidemment vendre les murs à des gens qui veulent
faire du commerce, poursuit Christian Le Guillochet.
Dans ce cas-là, au lieu de vendre 3 millions d'euros, je vendrais 6
millions d'euros. J'ai eu une proposition à 6,8 millions d'euros, que
j'ai refusée. Pourtant, ce n'est pas mal pour le fils d'ouvrier que je
suis. Mais tout ce que je veux, c'est que le Lucernaire soit
pérennisé. Je fais la grève de la faim pour dire au ministère : vous
n'abandonnerez pas le lieu."
Christian Le Guillochet raisonne comme s'il allait de soi que le
Lucernaire reste un théâtre et que l'Etat s'engage auprès d'un
éventuel acquéreur à maintenir la subvention, apportée dans la
"corbeille de mariage" de la vente, en quelque sorte. Cette subvention
n'est pas anodine. Elle s'élève à 600 000 euros, soit beaucoup plus
que celle de la plupart des scènes nationales de la région parisienne.
Pour la Rue de Valois, les deux questions sont à débattre. La
première, sur le principe : le ministère de la culture se demande
pourquoi il serait de fait partie prenante d'une vente privée.
"Nous retirons la subvention du Lucernaire parce que Christian Le
Guillochet vend et qu'il n'y a aucun projet artistique sérieux pour
2004", fait-on savoir dans l'entourage du ministre.
Par ailleurs, le ministère signale, dans un communiqué du mercredi
5 novembre que le désengagement de l'Etat "permet de renforcer les
dotations affectées au Théâtre du Rond-Point, au Théâtre de la Cité
internationale et au Théâtre de l'Est parisien." En clair : de
soutenir des lieux qu'il juge plus en phase avec la création que le
Lucernaire.
Brigitte Salino