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Le directeur du Lucernaire en grève de la faim pour "sauver" son théâtre
LE MONDE | 07.11.03 | 15h15    MIS A JOUR LE 07.11.03 | 17h10
Christian Le Guillochet demande au ministère de la culture de ne pas supprimer sa subvention annuelle. La Rue de Valois rétorque que le théâtre est à vendre et sans projet pour la suite.
Mercredi 5 novembre, Christian Le Guillochet, le directeur du Lucernaire, a entamé une grève de la faim pour, dit-il, "sauver" son théâtre de la rue Notre-Dame-des-Champs (Paris-6e), "menacé de mort par le ministère de la culture, qui a décidé de diviser par deux sa subvention cette année et de la supprimer en 2004". Pour marquer le coup, il a mis à l'affiche, le 5 novembre, Subvention, une pièce écrite par son confrère Jean-Luc Jeener, directeur du Théâtre du Nord-Ouest (Paris-9e) et chroniqueur dramatique au Figaro Magazine.

Le moins que l'on puisse dire de Subvention est qu'il s'agit d'une pièce de circonstance. On y voit deux fonctionnaires du ministère de la culture, deux femmes cyniques, vulgaires et brutales, tenter de convaincre un directeur de théâtre d'arrêter la grève de la faim qu'il mène depuis vingt-trois jours. La mission tourne court au bout d'une heure quand le directeur s'effondre sur son bureau, mort.

C'est Christian Le Guillochet qui tient le rôle. Il est fermement décidé à le jouer (en alternance avec l'auteur), "jusqu'à épuisement". Peu lui chaut que son action soit, comme dans Subvention, assimilée à du "chantage". "Oui, c'est du chantage, répond-il, mais c'est la même réponse que celle des intermittents : c'est un chantage suicidaire, un appel au secours. Je fais la grève de la faim, et je la ferai jusqu'au bout s'il le faut, parce qu'il n'y a pas d'autre solution possible."

La crise tient au statut très particulier du Lucernaire. Christian Le Guillochet est propriétaire du bâtiment, qui abrite deux salles de théâtre (de 120 et 130 places), trois cinémas, un bar et un restaurant. Depuis 1982, ce lieu privé est subventionné par l'Etat, qui lui a accordé le label de centre national d'art et essai. Il y a trois ans, Catherine Tasca, alors ministre de la culture et de la communication, a demandé à Christian Le Guillochet de penser à sa succession.

"J'ai accepté, sachant que j'approchais des 70 ans, dit le directeur, mais à condition que quelqu'un rachète les murs, qui m'appartiennent. De son côté, le ministère s'est engagé à maintenir la subvention. Et voilà qu'aujourd'hui Jean-Jacques Aillagon décide de supprimer cette subvention, qui représente 30 % des ressources. Sans elle, les acheteurs potentiels qui veulent continuer à mener une action culturelle au Lucernaire refusent de s'engager."

"Je pourrais évidemment vendre les murs à des gens qui veulent faire du commerce, poursuit Christian Le Guillochet. Dans ce cas-là, au lieu de vendre 3 millions d'euros, je vendrais 6 millions d'euros. J'ai eu une proposition à 6,8 millions d'euros, que j'ai refusée. Pourtant, ce n'est pas mal pour le fils d'ouvrier que je suis. Mais tout ce que je veux, c'est que le Lucernaire soit pérennisé. Je fais la grève de la faim pour dire au ministère : vous n'abandonnerez pas le lieu."

Christian Le Guillochet raisonne comme s'il allait de soi que le Lucernaire reste un théâtre et que l'Etat s'engage auprès d'un éventuel acquéreur à maintenir la subvention, apportée dans la "corbeille de mariage" de la vente, en quelque sorte. Cette subvention n'est pas anodine. Elle s'élève à 600 000 euros, soit beaucoup plus que celle de la plupart des scènes nationales de la région parisienne.

Pour la Rue de Valois, les deux questions sont à débattre. La première, sur le principe : le ministère de la culture se demande pourquoi il serait de fait partie prenante d'une vente privée. "Nous retirons la subvention du Lucernaire parce que Christian Le Guillochet vend et qu'il n'y a aucun projet artistique sérieux pour 2004", fait-on savoir dans l'entourage du ministre.

Par ailleurs, le ministère signale, dans un communiqué du mercredi 5 novembre que le désengagement de l'Etat "permet de renforcer les dotations affectées au Théâtre du Rond-Point, au Théâtre de la Cité internationale et au Théâtre de l'Est parisien." En clair : de soutenir des lieux qu'il juge plus en phase avec la création que le Lucernaire.

Brigitte Salino

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 08.11.03

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